(suite)
De temps en temps, quand je suis d'humeur vraiment massacrante comme ce soir, j'ai envie de tout plaquer. Je sens que j'ai envie de partir m'installer au Pérou ou au fin fond de la Creuse, sans rien dire à personne.
Ni amis, ni famille, ni amour. Moi seule et la Nature. Tout recommencer. Méditer. Attendre la mort et mener une vie simple, lavée de toutes les insignifiances du quotidien.
Tout me pèse, tout. Ma jeunesse terminée (je ne sors plus en boîte, ça me gonfle et j'ai l'impression d'être dans une garderie), ma séduction enterrée (fini les inconnus qui abordent dans la rue, je dois puer la dépression à 150 mètres), mon parcours professionnel raté (des cdd en alternance avec le chômage, un métier de profiteur inintéressant, sans perspective d'évolution alléchante), une fortune inaccessible (à moi les joies du smic et de l'emprunt sur 40 ans), une vie de famille irréalisable (des enfants ? vraiment ?), et la liste pourrait continuer des heures.
J'ai l'impression, quand je regarde devant moi, de voir un champ de ruines, une plaine parsemée de croix funéraires. Et cet horizon toujours bouché, étouffant. J'étouffe dans ma vie, je pianote et je n'avance décidément pas.
Alors, tout plaquer me semble la solution de survie. C'est la seule alternative qui s'offre à moi, ou alors le suicide. Vivre loin, dans une autre culture, peut-être. Plus pauvrement, sûrement, mais seule. Loin de mes congénères que je n'aime pas, en qui je n'ai plus foi. Je n'ai plus foi en rien, de toute façon. Ni en Dieu, qui ne me tient pas dans sa main, quoique tu dises. Ni en l'Homme, qui me déçoit trop tous les jours. Ni en moi, aussi, qui suis un échec constant.
Quelle amertume que de constater cela. Quelle ironie, moi qui suis encore jeune pourtant. Je n'arrive même pas à trouver la force de changer les choses. Tout au plus j'arrive à constater le lent grignotage qu'opère ce désespoir sur ma volonté de faire.
Je me sens démunie, je veux rendre les armes et pourtant, demain tout est à refaire.